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aujourd'hui, nos rituels
7 - 01/11/2024
De noir et d'orange
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En chemins
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Nourritures pascales
2 - 14/02/2024
Mardi-Gras, Carême et Carnaval (et Ramadan?)
1 - 06/01/2024
Mages, Rois et galette
Le 13 décembre sera célébrée en Suède la Sainte Lucie. Comment le culte de cette jeune chrétienne sicilienne martyrisée en 304 ap. JC a pu s'imposer si loin de l'Italie et dans un pays devenu complètement protestant lors de la Réforme ? Peut-être simplement par ce nom de Lucie, signifiant lumière et symbolisant la hantise d'une Scandinavie plongée dans les longues nuits d'hiver. Ce jour-là, dans les familles et les écoles, les jeunes filles s'habillent de blanc, l'une d'entre elle est proclamée Sainte Lucie et porte une couronne plantée de bougies. S'ensuivent processions, chants et distribution de délicieux gâteaux au safran aux parents et amis. La coutume reste vivace et a même connu des critiques quant à son caractère genré et ethnique. En 2016, ce fut un garçon suédois d'origine orientale, brun et le teint mat qui eut l'honneur d'être « Sainte Lucie »... Sa photo dans un grand catalogue de vente suscita nombre de commentaires racistes et des polémiques passionnés...
Enfin, entre le 25 décembre 2024 et le 2 janvier 2025, le judaïsme célèbre la fête de Hanouka qui commémore un miracle lors de la purification du Temple de Jérusalem. Celui-ci avait été profané par les envahisseurs grecs du roi Antiochos au IIème siècle avant notre ère. La révolte très sanglante mais victorieuse menée par les frères Macchabées avait abouti à la libération du sanctuaire mais pour rallumer le chandelier sacré, il ne restait qu'une petite fiole d'huile. Selon la tradition rabbinique, cette petite quantité d'huile suffit néanmoins pour huit jours, le temps de reconstituer des réserves rituelles.
A Hanouka, chaque soir pendant huit jours est allumé une bougie d'un chandelier spécial à neuf branches pour rappeler ce lumineux miracle. Friandises, jeux et cadeaux accompagnent cette célébration, que la proximité des dates rapproche d'une certaine façon du Noël chrétien.
Par-delà les siècles et les frontières, la lumière et la chaleur d'une simple flamme ne sont-elles les plus sûrs moyens de nous relier les uns aux autres ? A toutes et à tous, joyeux Noël !
Jean LOIGNON
C'est en décembre que l'obscurité et le froid rendent le raccourcissement des jours le plus sensible, dans une peur archaïque et ancestrale que la lumière ne revienne pas. Alors comme pour conjurer cette crainte, différentes célébrations se déroulent sous le signe de la lumière : partons pour un Avent interreligieux de Lyon à Jérusalem en passant par Stockholm où des balises lumineuses rapprochent à leur façon des peuples différents.
Le 8 décembre correspond dans le calendrier catholique à la fête de l'Immaculée Conception de la Vierge Marie, née neuf mois plus tard selon la tradition. Si ce dogme marial est récent car proclamé seulement en 1854 par le pape Pie IX, il s'appuyait sur une riche tradition de recours à une protection divine dans le quotidien, incarnée par la figure de Marie. Ainsi, en 1643, une procession en l'honneur de la Vierge sembla avoir arrêté net la propagation d'une épidémie de peste à Lyon. Plus de deux siècles après en 1852, une statue dorée de la Vierge couronnée devenue la protectrice de Lyon est inaugurée sur la colline de Fourvière dominant la ville. Mais des pluies diluviennes empêchent les feux d'artifice prévus ; profitant d'une accalmie, la population allume des chandelles et lumignons à chaque fenêtre, illuminant ainsi la ville. La tradition se maintint, renforcée par la dévotion mariale qui parcourt le XIXème siècle français (apparitions de la Vierge rue du Bac à Paris en 1830, à la Salette en 1846, à Lourdes en1858).
Depuis 1989, la municipalité de Lyon a revitalisé la coutume du 8 décembre en la laïcisant sous forme d'une Fête des Lumières avec de somptueuses mises en lumière des différents édifices de la ville. Un million de spectateurs se pressent alors dans les rues sauf en 2020 en raison de la pandémie. La Vierge couronnée dominée par le coronavirus ?
Crédits photos : Pixabay (Lyon, Hanukka),
Wikipédia (Sainte-Lucie)
Au lendemain de la Grande Guerre, pas encore première du nom, la France se dota d’un dispositif mémoriel, qui lui permettait de réaliser un travail de deuil à l'échelle de la nation. Les communes édifièrent des monuments aux morts, recensant es 1 350 000 soldats tués. Symboliquement, un soldat inconnu fut inhumé sous l’Arc de Triomphe à Paris. S'organisa ainsi chaque 11 novembre une cérémonie qui dupliquait sur tout le territoire l'hommage rendu dans la capitale et à la clairière de l'Armistice, en forêt de Compiègne.
La commémoration de la fin de la Première Guerre mondiale peut se lire comme une liturgie républicaine et laïque, dans une démarche religieuse, au sens étymologique du mot, « ce qui relie les membres d'une communauté ». A l'heure où une certaine vision de la laïcité voudrait cantonner dans une sphère strictement privée l'expression de la foi religieuse, il est utile de revisiter le riche champ symbolique déployé de 11 novembre en 11 novembre.
Le soldat inconnu fut choisi en 1920 par un jeune soldat, pupille de la nation et engagé la dernière année de la guerre : Auguste Thin, placé devant huit cercueils de la nécropole de Verdun contenant les dépouilles de soldats non-identifiables, si ce n'est par leur appartenance à l'armée française, déclara s'être souvenu du n° de son régiment, le 132ème et avoir additionné les trois chiffres : il déposa une gerbe devant le 6ème cercueil, qui fut aussitôt transféré à Paris. N'est-ce pas Albert Einstein, qui définissait le hasard comme Dieu incognito ? Depuis 1923, une flamme perpétuelle brûle devant la dalle du soldat inconnu, comme par un signe d'immortalité.
Rappelons que la soi-disant Belle Époque avait vu la société française se déchirer profondément, notamment lors de l'Affaire Dreyfus ou de la loi de Séparation des Églises et de l’État en 1905. Mais l'épreuve de la guerre avait rapproché dans les tranchées des groupes qu'on croyait irréconciliables. Les aumôniers catholiques, protestants, israélites avaient accompagné les mêmes douleurs. La manière de choisir le soldat inconnu assumait donc le risque qu'il soit un Français croyant en Dieu ou n'y croyant pas, dans le respect de la liberté de conscience.
Dans chaque commune, l'édification du monument aux morts s'accompagna du long et minutieux recensement des noms de toutes les victimes, préoccupation jusque-là parcellaire dans les guerres précédentes. A chaque 11 novembre, ces noms étaient cités, de façon égalitaire, devant les autorités républicaines élues et les habitants rassemblés. Après l'exécution d'hymnes, dont la sonnerie de trompette « Aux Morts », étaient déposées en hommage (en offrande ?) des gerbes de fleurs. La participation à l'époque obligatoire des enfants des écoles sous la conduite de leurs maîtres soulignait la dimension laïque de la cérémonie. Mais ce culte citoyen témoignait de la porosité entre le sacré et le profane, à l'image des convictions majoritaires de la population.
Jean LOIGNON
Crédits photos : Marine nationale, Wikipédia
Les congés de la Toussaint voient le retour des tentatives de célébrer l'Halloween, sur le modèle nord-américain. De fait, mis à part la décoration de vitrines des magasins et quelques animations pour les enfants en vacances, la greffe de cette fête ,n'a jamais vraiment réussi en France, pourtant friande d'américanisation de son quotidien.
Pourtant l'origine de la fête d'Halloween est pleinement européenne. Au commencement était un culte rendu au dieu celte Samain, accompagné de rites visant à se concilier les défunts, sur fond d'angoisse liée au raccourcissement des jours. Mais l'expansion de la culture romaine et du christianisme hostile aux rites païens éradiqua ce culte, dilué alors dans de vivaces coutumes et superstitions populaires. Au Moyen Age, l'Eglise catholique les neutralisa en instituant au 1er novembre une fête de tous les saints, suivie le lendemain d'un jour dédié aux morts.
La position périphérique de l'Irlande en Europe avait permis une plus grande persistance de la culture celte et c'est dans le folklore gaélique que de se développa la légende de Jack O'Lantern. Ce sinistre personnage avait commis tant de péchés que l'accès au paradis lui était interdit ; mais parce qu'il avait aussi par ruse trompé le diable, l’accès à l'enfer lui fut également refusé et il fut condamné à errer pour l'éternité, guidé par la flamme d'une lanterne creusée dans un navet. La veille de la Toussaint, soit en anglais « All Hallows Even » d'où Halloween, une modeste offrande devant les maisons permettait d'éviter un sort funeste jeté par l'effrayant personnage.
L'histoire tragique de l'Irlande au 19ème siècle jeta outre-mer des millions d'Irlandais qui transportèrent avec eux la légende de Jack O'Lantern. En Amérique, le navet céda la place à l'indigène citrouille, donnant une couleur orange définitive à l'Halloween. L'anglophonie commune entre Etats-Unis et Canada favorisa la diffusion de la fête et l'intégration via un catholicisme commun de nombreux Irlandais au Québec la rendit très populaire sur les bords du Saint-Laurent.
Au delà de son aspect mercantile coloré de noir et d'orange, que nous révèle l'Halloween? Une sensibilité au cycle des saisons avec un automne annonciateur de la mort hivernale de la nature, à laquelle pourrait s'ajouter une inquiétude climatique grandissante? Le besoin de conjurer par le rire une angoisse universelle face à la mort, événement incontournable mais pourtant largement invisiblisé dans notre société? Plus, par les bonbons donnés aux enfants, l'antique réflexe de l'offrande médiatrice d'une protection contre les mauvais sorts jetés contre nos vies? L'Halloween, américaine et commerciale, certes, mais profondément humaine.
Jean LOIGNON
Dès les beaux jours, de mai à octobre, sac au dos et bâton en main, ils ont été des centaines de milliers à pratiquer la randonnée itinérante. Une certaine lassitude du tourisme balnéaire et une motivation grandissante pour des loisirs plus écologiques a poussé tout un peuple majoritairement de jeunes retraité·es mais pas que, de sportifs, de familles, de femmes seules ou en groupe à se lancer dans l'aventure d'une ou plusieurs semaines de marche. Le réseau des sentiers de Saint-Jacques de Compostelle, le GR 34 longeant l'intégralité des côtes bretonnes, le chemin de Stevenson (popularisé par le charmant film « Antoinette dans les Cévennes » sont devenus des lieux majeurs d'un écotourisme en plein essor.
Certes les conditions offertes ménagent l'endurance des marcheurs : de nombreux hébergements proposent le gîte et le couvert à des prix variés et il est possible sur les itinéraires les plus courus de se faire porter ses bagages à chaque étape. Mais un nombre significatif de randonneurs ont choisi de jouer le jeu d'une sobriété plus poussée en portant leur propre ravitaillement et en bivouaquant.
Certes les conditions offertes ménagent l'endurance des marcheurs : de nombreux hébergements proposent le gîte et le couvert à des prix variés et il est possible sur les itinéraires les plus courus de se faire porter ses bagages à chaque étape. Mais un nombre significatif de randonneurs ont choisi de jouer le jeu d'une sobriété plus poussée en portant leur propre ravitaillement et en bivouaquant.
Ce faisant, ils ont retrouvé des gestes depuis longtemps oubliés dans notre société de consommation et d'abondance immédiates : se repérer dans un paysage inédit, sans toujours l'aide des réseaux de géolocalisation, trouver de l'eau, des points de ravitaillement, des lieux où dormir en toute sécurité, sans oublier la satisfaction de besoins naturels sans eau et en pleine nature. Mais ces ascètes volontaires d'un été ont-ils toujours eu conscience que ce qu'ils ont choisi de vivre est le quotidien des gens de la rue, SDF ou précaires qui survivent dans nos cités?
Il n'est pas indifférent que certains sentiers reprennent les itinéraires de pèlerinage qui jalonnaient l'Europe médiévale. Aujourd'hui, la motivation religieuse des randonneurs qui accrochent une coquille Saint-Jacques sur leur sac est minoritaire, bien que réelle. Mais peut-on imaginer de façon « catho-laïque » que ce retour aux sources et ce choix d'une sobriété à l'opposé du consumérisme habituel fassent inconsciemment écho aux vertus expiatrices et rédemptrices des pèlerinages d'antan?
Jean LOIGNON
Sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle
© Dominique Bacquet
L’enthousiasme médiatique et populaire qui a entouré l’arrivée de la flamme olympique à Marseille le 8 mai dernier souligne une dimension particulièrement visible des Jeux : celle de produire des rituels qui amplifient largement l’aspect sportif de la compétition internationale quadriennale.
L’antiquité grecque ne séparait pas compétition sportive et culte religieux et comme les Jeux olympiques étaient liés au paganisme polythéiste, le christianisme triomphant les supprima en 393 de notre ère. Sa méfiance envers le corps tint cette religion éloignée du sport des siècles durant et c’est dans le cadre d’une Antiquité redécouverte et passablement fantasmée que renaîtront en 1896 les Jeux olympiques contemporains sous l’égide de Pierre de Coubertin.
Aux côtés des anneaux entrelacés, inventés et dessinés par Coubertin, la flamme est le symbole le plus marquant des J.O contemporains. Historiquement, rien ne permet de penser qu’une cérémonie d’allumage d’une flamme ait pu inaugurer les jeux antiques. Oui, il y avait des feux permanents dans les temples à une époque sans allumettes ou briquet et les Grecs honoraient les figures divines, telles que Prométhée, dispensateur mythique du feu à l’humanité. En fait, l’embrasement de la flamme olympique remonte aux Jeux d’Amsterdam de 1928 et le choix d’un allumage par les rayons du soleil dans le sanctuaire d’Olympie résulte de l’intense activité archéologique de l’Allemagne sur ce site grec. Le nazisme développait une vision de l’histoire, selon laquelle la « race aryenne » était issue de la Grèce dorienne et de la société viriliste de Sparte. Et quand Berlin en 1936 obtint d’organiser les Jeux olympiques, le ministre Joseph Goebbels en saisit pleinement le potentiel de propagande pour le IIIème Reich. C’est lui qui imagina un relais de la flamme olympique à travers toute l’Allemagne, dans le prolongement des sinistres manifestations aux flambeaux chères aux militants nazis.
On ne peut qu’être surpris qu’un tel parrainage n’ait pas discrédité à jamais le relais de la flamme olympique à la reprise des Jeux en 1948. C’était sans compter l’extraordinaire plasticité du symbole du feu, qui brûle et purifie dans la violence mais qui réchauffe et éclaire l’humanité depuis toujours. Ainsi, le rituel de la flamme des J.O de Paris peut être lu comme ce qui glorifie le patrimoine – d’où le Belem - et rassemble un peuple dont l’immense majorité ne peut accéder aux compétitions, si ce n’est que par des écrans. Faire porter la flamme aux quatre coins de la France métropolitaine et ultramarine par des célébrités ou de simples anonymes apparaît comme une compensation éphémère mais démocratique à des Jeux élitistes, largement guidés par des impératifs financiers et économiques.
Dans un monde déchiré par les guerres et divisé par les inégalités, se sentir relié les uns aux autres dans un idéal de fraternité est un effet positif de la « religion olympique » avec toutes ses ambiguïtés. Pourquoi pas, si nous restons lucides devant cette parenthèse enchantée…
Jean Loignon
https://www.coca-cola.com/fr/fr/offerings/magie-flamme-olympique
RITUELS 4. LITURGIES POLITIQUES
Les luttes sociales et démocratiques françaises au XIXème siècle ont été longtemps marquées par la violence insurrectionnelle. Le symbole historique urbain en est les barricades, lors des révolutions populaires de 1830, 1848 et de la Commune de Paris en 1871. Sans oublier des épisodes mineurs comme l’émeute parisienne de 1832 immortalisée par le personnage de Gavroche dans « les Misérables » de Victor Hugo.
Cette violence sanglante – 25 000 morts à Paris en 1871 ! – a pris fin avec la IIIème République qui institua les libertés civiles fondamentales. Reconnu peu à peu dans ses partis et syndicats, le mouvement ouvrier a policé ses méthodes d’action, tout en veillant à sa visibilité publique. Le drapeau rouge, concurremment au drapeau tricolore devenu officiel, des usages comme celui de s’appeler « citoyens » ou « camarades » entre militants, de se saluer le poing levé, les commémorations ont constitué un vaste champ de symboles qui nécessairement a fait écho avec les références chrétiennes très majoritaires alors en France. Ainsi l’adoption du 1er Mai comme journée d’action puis fête des travailleurs renvoyait à un épisode du mouvement ouvrier américain : en mai 1886, une grève à Chicago fut lancée par les Chevaliers du travail. Le 4 mai, une bombe explosa parmi des policiers. On accusa sans preuves les leaders de la grève qui furent pendus. Trois ans après, l’Internationale Ouvrière choisit le 1er Mai pour honorer en Europe les « martyrs de Chicago » ; en 1891, la manifestation dans la petite ville industrielle de Fourmies (Nord) tourna au drame : les soldats ouvrirent le feu tuant 9 manifestants, dont des femmes et des enfants. L’événement connut un grand retentissement et renforça en France l’importance du 1er Mai et de la martyrologie sacrificielle pour l’amélioration du sort du plus grand nombre. Et si le chant l'Internationale* affirme qu' « il n'y a pas de sauveur suprême », elle présente ce mouvement comme un messie collectif qui fera que « le soleil brillera toujours » sur le genre humain.
Après la 1ère Guerre mondiale, le Parti Communiste Français s’imposa durant 80 ans comme un acteur de premier plan dans le mouvement social et politique. Il est remarquable de constater que ce parti se constitua en France comme une Eglise concurrente, aux rituels inconsciemment décalqués sur l’Eglise catholique : organisation très hiérarchisée et autoritaire avec infaillibilité des chefs, culte stalinien de la personnalité proche de la sanctification, encadrement des masses militantes non par des messes mais par des réunions hebdomadaires des cellules, manifestations de rue avec oriflammes et banderoles aux allures de procession, exaltation des martyrs du Parti tombés dans la Résistance antinazie, universalité – sens premier du mot « catholique » - de l'idéal communiste par l'internationalisme…
* https://wikirouge.net/L%27Internationale_(chanson)
La déchristianisation de la société rend aujourd'hui ces symboles moins lisibles, qui, pour antagonistes qu'ils fussent entre « blancs » et « rouges »* , reliaient des hommes et des femmes dans leurs espérances. Relier, ce mot qui a donné celui de « religion ».
* Le rouge et le blanc ne sont-ils pas les couleurs de Saint-Nazaire? (JL)
Jean Loignon
RITUELS 2. MARDI-GRAS, CARÊME ET CARNAVAL (ET RAMADAN ?)
Les religions du monde se sont souvent appuyées sur l'alimentation pour exercer influence et contrôle sur leurs fidèles. Car quoi de plus incontournables que nos repas quotidiens ? Mais si la sécularisation a tendance à déchristianiser notre rapport à la nourriture, cette dernière n'a pas fini de faire l'objet d'injonctions au nom de la santé, de l'écologie et plus récemment du bien-être animal... Manger autrement, mieux, moins et même parfois pas du tout : des pratiques de jeûne réapparaissent, comme celui d'un Carême écologique, proposé par des chrétiens engagés pour la planète
Le mot « Carême » vient du latin « quadragesima » et désigne une période de quarante jours de privations alimentaires précédant la fête de Pâques, soit en 2024 du 14 février (mercredi des Cendres) jusqu'au 30 mars (Samedi Saint). A vrai dire, cela fait 46 jours mais il faut ôter les dimanches considérés comme « hors jeûne ».
Mais de quel jeûne (d'où vient le mot dé-jeuner) parle-t-on ? Si le judaïsme et l'islam excluent encore aujourd'hui certains aliments dits impurs de façon permanente (comme le porc), le christianisme médiéval optait plutôt pour une régulation de la consommation des aliments gras (viandes et graisses animales) par rapport aux aliments maigres d'origine végétale ou non carnés. Il était donc interdit de consommer de « manger gras », non seulement durant le Carême, mais aussi les veilles des principales fêtes chrétiennes ainsi que les vendredis, soit un total d'une centaine de jours par an.
Le respect d'une prescription d'une telle ampleur ne fut jamais facile à mettre en place : la viande de gibier ou d'élevage était la nourriture vitale par excellence (le mot viande vient de vie) et on constate durant le Moyen Age européen toutes sortes « d'accommodements raisonnables » destinés à contourner les rigueurs de l'interdiction ecclésiale : comme le poisson était admis, on étendait cette tolérance aux oiseaux marins et même aux... castors, car leur mode de vie aquatique les rapprochait des poissons ! Certains moines expliquaient doctement que la graisse animale pouvait être consommée, si elle était fondue auparavant ; auquel cas elle était bue et non mangée... Ne disait-on pas proverbialement « gras comme un moine » ?
Il ne reste pas moins que ces contraintes étaient observées par le plus grand nombre avec une obsession du péché compromettant le salut et c'est ainsi que le dernier jour possible d'alimentation carnée avant le Carême devint sous le nom de Mardi-Gras, une fête reprenant d'anciens rites transgressifs issus des sociétés païennes : déguisements, conduites débridées, inversion sociale avec l'élection d'un roi du Carnaval... Le pouvoir admettait ces débordements comme une sorte de soupape sociale, permettant au peuple de supporter la dureté de ses conditions de vie.
La Réforme au 16ème siècle s'était d'emblée opposée à la pratique du jeûne, qu'elle voyait comme une forme de salut par les œuvres, sous le contrôle de l'Eglise catholique. A l'instar de Calvin à Genève, elle préconisait davantage un contrôle raisonnable et permanent des plaisirs des sens, d'où le fameux cliché de l'austérité protestante. Le carnaval ne prospéra donc point en terres protestantes et il est significatif que les plus illustres carnavals actuels (Bavière et Rhénanie en Allemagne, Rio de Janeiro au Brésil, Nice en France) se situent dans une géographie plutôt catholique.
Et le Ramadan ? Le respect majoritaire par les musulmans de cette forme de jeûne ne peut qu'interpeller nos sociétés, dans lesquelles la pratique religieuse du Carême est devenue ultra minoritaire. Les musulmans utilisent parfois le mot carême pour désigner la période du Ramadan et je me souviens d'avoir entendu certains de mes élèves qualifier le Carême qu'il découvraient de « Ramadan des chrétiens ». Le rapprochement est-il pour autant pertinent ?
Le Ramadan désigne le mois durant lequel le musulman doit s'abstenir de manger, boire, fumer et avoir des relations sexuelles entre le lever et le coucher du soleil. Cette prescription – un des cinq piliers de l'Islam - est rigoureuse, particulièrement pour la soif en climat chaud et désertique ; mais étant diurne et décalée chaque année de treize jours, elle est compensée par les ruptures nocturnes du jeûne célébrées souvent de façon festive et... gastronomique en famille. Ne s'appliquant pas aux très jeunes enfants, elle devient de fait un rituel social et familial initiatique pour les adolescents qui s'y essaient et expérimentent un certain contrôle de soi.
Ces héritages vivants ou déclinants témoignent encore du lien entre la foi – laïque ou religieuse – et la façon de manger. Ne « croit-on » pas aux vertus de tel ou tel régime alimentaire ? Alors, dis-moi ce que tu manges, je te dirai à quoi tu crois...
Jean Loignon
Une fête gourmande
Le mot « Epiphanie » survit dans le calendrier à la date du 6 janvier et dans la langue savante pour désigner une apparition spectaculaire. Mais si cette fête de la tradition chrétienne n'est plus guère connue aujourd'hui, un des ses rituels reste encore massivement pratiquée : en janvier, la France républicaine tire les rois et c'est même devenu un incontournable de la vie des associations, marquant la reprise des activités après le temps des fêtes de Noël et du nouvel An.
Tout le monde connaît la galette des rois, feuilletée ou briochée selon les régions, avec la fève devenue figurine glissée à l'intérieur qui permet l'élection d'un roi ou d'une reine immédiatement coiffés d'une couronne en carton et recevant l'hommage d'un toast par les convives.
Cette coutume très consensuelle interpelle la laïcité et en révèle la richesse, en nous replongeant dans plus de deux millénaires de rituels religieux.
Retour en arrière
L'Antiquité romaine honorait le dieu Saturne, présent dans le calendrier car assimilé au dieu grec Chronos (le Temps) : en décembre, au lendemain du solstice d'hiver, les Saturnales étaient l'occasion d'une inversion sociale : durant quelques jours, les domestiques et les esclaves se voyaient servis par leurs maîtres et l'un d'eux pouvait être choisi comme roi des festivités par tirage au sort, à l'aide d'une fève. Parallèlement, on s'offrait des rameaux porte-bonheur liés au culte de la déesse Strenna, qui a donné son nom aux étrennes actuelles.
On sait que l'Eglise ancienne a eu fort à faire pour christianiser les divers cultes solaires du mois de décembre, souvent placés sous le signe du très populaire dieu oriental Mithra. La fixation de la date de naissance de Jésus au 25 décembre répondait à cette préoccupation. Mais une des difficultés rencontrées était la modestie des sources évangéliques relatant la naissance de Jésus. Les Evangiles de Marc et de Jean sont muets sur ce point et ceux de Matthieu et de Luc diffèrent considérablement.
C'est en effet le seul Matthieu qui mentionne l'arrivée à Jérusalem de mages orientaux venant s'informer sur la base de leurs observations astronomiques·logiques de la naissance « d'un roi des juifs », déclenchant ainsi l'inquiétude du roi Hérode. Les mages guidés par une étoile jusqu'à Bethléem trouvent Jésus dans sa maison (et non dans une crèche) et lui rendent hommage par trois présents : pas de galette mais de l'or, de l'encens et de la myrrhe, autant de références royales et cultuelles. Ils s'en retournent après dans leur pays, tandis que Joseph et Marie fuient se réfugier en Egypte avec Jésus pour échapper au massacre des enfants de Bethléem ordonné par Hérode, soucieux d'éliminer tout rival. Un récit plutôt inquiétant et loin de la « magie de Noël »...
La tradition est une construction
L'imagination théologique va donc se mobiliser pour faire de ces mages des personnages plus consistants : ils deviennent trois rois venus de contrées lointaines, signifiant l'hommage de la terre entière au Dieu d'Israël ; au Moyen Age ils recevront des noms : Gaspard, Melchior et Balthazar. La géographie de leurs origines sera longtemps flottante mais peu à peu, au moment où l'Europe s'ouvre au monde d'outre-mer, Balthazar devient le roi noir. Et en Espagne, les rois mages résistent victorieusement au Père Noël dans l'imaginaire enfantin de la distribution des cadeaux.
Leurs présents très symboliques signifiant la royauté, la mort et la résurrection du Christ, auront permis de christianiser les étrennes païennes et le partage d'une galette des rois dorée comme un soleil neutralisera les rites d'inversion sociale jugés trop transgressifs qui basculeront vers les fêtes de Carnaval. Mais c'est une autre histoire que je vous raconterai en février.
Jean Loignon