RETROVISEUR 9
C'est un document très modeste, datant d'avant l'ère de la photocopieuse et de l'imprimante : quelques feuilles agrafées, textes et dessins réalisés à la main, au mieux avec un pochoir à lettres.
Son contenu ? Le programme d'une fête de la Frat', un dimanche 5 mai que je situe à l'aide d'un calendrier perpétuel en 1963. Au programme : stands de jeux, buffet-bourriche et une pièce de théâtre jouée par des jeunes de la Frat' avec l'aide du groupe Stereden (« étoile » en breton) : « la Farce de Don Cristobal » du dramaturge et poète espagnol Federico Garcia Lorca...
Nous pouvons imaginer que ce genre d'événements était relativement banal à une époque où la Frat' était à la fois paroisse protestante, centre social et maison des jeunes et de la culture, dans l'esprit de la Mission Populaire. Et sous l'égide du pasteur-directeur Roger Crapoulet, la Frat' était parfaitement insérée dans le paysage nazairien. La preuve ? Les multiples encarts publicitaires de commerçants et artisans sur huit pages du programme de la fête. Je suppose que cette publicité était assortie d'un don, en dépit du côté rudimentaire des annonces, signifiant par là la belle notoriété de la Fraternité de Saint-Nazaire.
En signe de reconnaissance tardive pour ces gestes de solidarité, je citerai ces donateurs de 1963 dont bien des enseignes ont disparu aujourd'hui mais qui survivent peut-être dans la mémoire de la ville :
Concessionnaire Renault (Ets Babin et Auto Hall) rue de la Paix et rue du Bois Savary, Ets Hardy Frigeavia, Optique R. Woittequand, Horlogerie M.Travaillé, Atlantic-sols, Peinture et papiers peints J-R Blanchet, Quincaillerie SO-GE-QUI, Paris-Chic de Léon Frèche, Station-service Shell de R.Guimaron, Librairie-papeterie Thomas Seeten, Charcuterie parisienne Maréchal, Magasin Philips G.Rivière, Droguerie Laurent, les Meubles Cueilier, Tapissier K.Engler, Imprimerie moderne H. Chuloup et ?.., Tailleur Paul Civel, garage Fiat Rogier, Boulangerie-pâtisserie Joseph Petiteau, Articles de voyage, parapluie et maroquinerie « A l'Ondée » de P. Loiseau, Télévision-radio P.Martel, Frivolités de Paris (marques Gerbe- Exciting), Reproductions – Gravures Xavier Hoffmann, MONOPRIX, Radio Musique Dubreucq, Idéal restaurant Alberti, Teinturerie Hirigoyen, Nouvelles Galeries, Machines à écrire R.Bailly, Harmonies cadeaux; Laiterie Cavaillé, Garage du Centre Peugeot, Opticien Piller, Papiers peints J.Cardin, Meubles Albert, Faïence et porcelaine Zollet, Mercerie « Au fil d'or », Studio photo-cinéma Philippe Baudry, Fleuriste « les fleurs d'Yves », Librairie Maritime G.Mahé, Boucherie chevaline Patrice Sorin, Miroiterie de l'Ouest; Ciné-photo A.Blin, Offset-photocopie Jean Le Fur, Boucherie-charcuterie Le Beau.
Soixante ans après, la Frat continue autrement sa même mission d'accueil et d'aide solidaire.
A l'heure où elle renforce ses liens avec des entreprises partenaires, ce témoignage du passé est un signe d'espérance. Ce qui a été pourrait-il être à nouveau?
Jean Loignon
RETROVISEUR 8
Vérène Hédrich a été avec son mari le pasteur Charly Hédrich un de ces couples qui « ont fait la Miss Pop ». Elle a séjourné à Saint-Nazaire entre 1951 et 1953, durant la période de la reconstruction de la ville. La Fraternité était alors installée dans une baraque rue des Caboteurs. La vidéo raconte cette période, puis celles de l’engagement du couple Hédrich à la Fraternité de Nemours puis à la Maison Verte à Paris. Vérène a eu la gentillesse de me confier un journal qu’elle a tenu début 53, une pépite pour la mémoire de la Frat, de quoi alimenter de futurs Rétroviseurs.
Jean Loignon
RETROVISEUR 7 : Une famille à la Fraternité de Saint-Nazaire : les Van Hooland
« Finalement, si mon grand-père n'avait pas été porté sur la bouteille, je ne serais pas protestante ! », déclare avec un joyeux irrespect Christiane Van Hooland, dite Kiki. Son corps plus qu'octogénaire la tient maintenant éloignée de la Fraternité, qu'elle a pourtant connue depuis toujours. Mais les souvenirs de son appartement et surtout sa mémoire loquace permettent de reconstituer l'histoire d'une présence familiale engagée dans la Frat' sur trois générations.
Au commencement, était Jean-Baptiste (1860-1935) : ouvrier, musicien et chanteur populaire à Roubaix. « Sa belle voix lui valait de nombreuses libations qui le rendirent esclave de l'alcool » dixit l'article nécrologique du journal de l'Armée du Salut. En effet, c'est lors d'une mission salutiste à Marchiennes qu'il renonça à l'alcool et devint « serviteur de Dieu ». Deux de ses enfants devinrent officiers de l'Armée du Salut, dont sa fille Jeanne qui, entre autres, dirigea le Palais de la Femme, institution salutiste parisienne. La musique y jouait un grand rôle et Christiane – sa nièce – possède toujours un concertina (petit accordéon) sur lequel sont gravées des figures de salutistes en uniforme.
Un autre fils de Jean-Baptiste, Gédéon, marié à Claire choisit de partir en 1930 pour Saint-Nazaire où il travailla à Sud-Aviation (ancêtre d’Airbus). Fervente protestante, la famille fréquenta donc la première Fraternité, située rue Jeanne-d'Arc, à qui la Mission Populaire Évangélique de France avait confié la desserte pastorale de la paroisse. Quatre filles naquirent : Evelyne, Yvonne, Lucienne et Christiane. Les Van Hooland connurent l'épreuve de la guerre et des bombardements. Gédéon fit partie de ces Nazairiens qui tentèrent de secourir les soldats britanniques de l'Opération Chariot en mars 42 en accrochant devant chez eux des vêtements civils, afin qu'ils puissent se débarrasser de leurs uniformes. Mais la destruction de la ville contraignit la famille à se réfugier à Guéméné-Penfao, une bourgade à l'écart de ce qui allait devenir la Poche de Saint-Nazaire occupée par les nazis jusqu'au 11 Mai 45. Le village très rural était fortement catholique et on s'étonnait de ne pas voir les Van Hooland à la messe ! Et Gédéon, dans un esprit évangélique, invita un soir de Noël l'aumônier militaire allemand, un geste qui lui fut durement reproché à la Libération.
Revenue à Saint-Nazaire, aux temps des baraques, la famille Van Hooland habita un logement dans un immeuble typique de la Reconstuction, en face de la belle école Jean Jaurès. Un jour, une autre famille emménagea sur le même palier que celui des Van Hooland : parmi les enfants des nouveaux venus, un certain… Joël Batteux qui garda sa vie durant une affection particulière pour les filles Van Hooland.
Le temple et la Fraternité étant totalement détruits, les dommages de guerre réunis permirent de construire les locaux actuels, rue de l'Ile-de-France. L'architecte nazairien et protestant Marcel Bouscasse conçut un bâtiment fonctionnel, capable de répondre aux besoins infiniment mieux que la baraque provisoire sise rue des Caboteurs. Dans ce lieu social ouvert à la cité, le culte n'y avait pas une place exclusive. Trois des filles Van Hooland y trouvèrent un terrain d'engagement bénévole, sa vie durant pour Evelyne et même salariés, pour Yvonne et son mari Paul Civel, très populaires pour leurs dons musicaux. Et à la génération suivante, Maritza Clavier, belle-fille d'Evelyne Van Hooland, œuvra à la Frat, elle qui était née... au Chili. La devise latine de Saint-Nazaire n'est-elle pas « elle ouvre les portes et n'en ferme aucune (Apocalypse 3, 7) ? » Ces mêmes mots pourraient être repris par la Fraternité, elle qui fut au bénéfice de cette fidélité familiale nourrie par la foi et l'engagement pour son prochain.
Jean Loignon
RETROVISEUR 6 : Quand la Bible habitait la Fraternité...
En avril 1979, un questionnaire fut envoyé dans toutes les Fraternités de la Mission Populaire pour s'enquérir de la place de la Bible dans leur animation. Les archives gardent la trace des réponses du pasteur Émile Mihière, en poste à la Frat' de Saint-Nazaire durant les années 70.
Émile Mihière (né en 1922), d'abord prêtre catholique, prêtre-ouvrier puis pasteur de l’église Réformée s'inscrit dans la lignée des pasteurs de la « Miss Pop », tels Georges Velten ou Roger Crapoulet, qui ne dissimulaient nullement leurs convictions de gauche et s'engageaient publiquement dans les luttes sociales de l'époque. Dans un rapport écrit en 1979, Émile Mihière raconte s'être fait tancer vertement par un paroissien pour avoir pris la parole en public au mégaphone en soutien des grévistes des Nouvelles Galeries de Saint-Nazaire ; ce paroissien attendait une plus grande neutralité de la part d'un ministre de l’Évangile...
A la question de l'usage que l'on fait ou ne fait pas de la Bible à la Frat, Émile Mihière répond :
« Avant de venir ici, je partais d'une lecture déductive. Le pasteur – celui qui sait – prend la Bible, la décortique, l'explique théoriquement et ensuite les gens en tirent les explications pratiques.
A Saint-Nazaire, j'ai appris à faire exactement le contraire : ce sont les participants qui donnent leurs premières impressions après la lecture d'un passage, disant là, on est d'accord, là on ne l'est pas... ceci nous révolte ou bien c'est en accord avec notre vie... Ensuite mon travail est de retraduire tout cela en langage théologique et exégétique ; c'est moi qui me mets à leur école pour traduire en termes bibliques leurs impressions. » 1
Avec des chrétiens et des non-chrétiens, E.M participe aux luttes locales et il lui est demandé s'il fait références aux Écritures implicitement ou explicitement au cours de ces luttes.
« Dans le travail, il peut y avoir l'utilisation immédiate et pratique de ce que nous a appris l’Évangile, mais aussi, souvent, on pense et on agit selon la Bible sans même le savoir. Ce n'est qu'après, en prenant du recul, en prenant le temps de prier, de réfléchir, de méditer, qu'on peut dire : après tout, cela se tient, ça cadre !
C'est toujours dans le 2ème temps (dans le 1er, on mène la lutte) qu'on découvre que les actions menées dans le sens de la justice, de la libération, cadrent avec ce que nous dit la Bible et nous permettent de nous réorienter. La lecture de la Bible nous oblige non à percevoir seulement l'ennemi de classe ou l'adversaire mais aussi un homme ou une femme qui a ses problèmes personnels, ses difficultés et qui n'est pas tout bon ou tout mauvais. »
(…)
Une dernière question est posée à E.M de façon personnelle : quand tu utilises la Bible, l'utilises-tu comme il y a quinze ans ?
« La lecture de la Bible que je fais maintenant n'a à peu près rien à voir avec celle que je faisais il y a vingt ans. Grâce au contact des travailleurs qui sont dans le bain des luttes, j'ai découvert avec joie une nouvelle dimension qui m'aide à faire plus d'unité dans ma vie. Il n’y plus la Bible d'un côté et les activités de l'autre ; des tunnels ont été franchis, les choses sont devenues claires, à cause de mon éducation, ma vie était faite de deux parties, grâce à eux, l'unité a pu se faire. »
Portrait d'Emile Mihière https://amicale-pasteurs.com/tous-les-chemins-ne-menent-pas-a-rome/
Jean LOIGNON
1 On notera une ressemblance de cette démarche avec celle des militants maoïstes qui, à la même époque, allaient « s'établir » en usine (entre autres à Saint-Nazaire) pour nourrir de l'expérience ouvrière leur marxisme théorique. JL
RETROVISEUR 5 : Autres temps à Saint-Nazaire
Il existait avant le tournant du siècle un club dit des "Trois fois 20" regroupant majoritairement des anciennes, toujours assez jeunes pour maintenir une présence à la Fraternité de Saint-Nazaire.
Le témoignage suivant d’une membre de ce groupe a été publié dans le bulletin de la Frat' "le Message'' en décembre 1986, à l'initiative d’Évelyne Clavier, sœur de Christiane Van Hooland. Son auteure m'est inconnue mais peut-être qu'un de ses descendants la reconnaîtra. Elle évoque son enfance nazairienne dans les années 30.
http://rikostnaz2.blogspot.com/2011/10/stnazaire-penhoet-rue-des-chantiers.html
(photo extraite du blog de Riko St.Naz ‘’Saint-Nazaire, la ville d’antan’’)
J'avais onze ans, mon frère douze. Mon père était roulier, c'est-à-dire qu'il conduisait une charrette avec un cheval et faisait des livraisons, parfois assez loin.
Ma mère n'avait pas une bonne santé mais faisait quelques ménages. Mon frère et moi, allions à l'école. Il devait passer son certificat d'études. A cette époque, on disait que c'était plus important pour un garçon que pour une fille.
Donc, le midi, sitôt la classe finie, j'arrivais chez moi. J'avalais mon écuelle de soupe, préparée par ma mère et gardée au chaud sur le bord de la cuisinière. Puis je prenais mon matériel, c'est-à-dire fourneau, charbon de bois, sac de châtaignes et j'allais à la porte des Chantiers griller et vendre mes ''marrons chauds''.
Ensuite, après être repassée à la maison, je filais à l'école où j'arrivais souvent en retard. L'institutrice me grondait, m'accusant de traîner sur les voies. Je recevais des coups de règle sur les doigts, car mes mains gardaient les traces de charbon et mes cahiers d'en ressentaient.
Jamais je n'aurais osé donner les raisons de ces retards et de cette malpropreté. Je préférais la sévérité de la maîtresse à l'humiliation ressentie devant mes camarades si elles avaient appris mon activité...
Ce témoignage nous replonge directement à une époque de crise et de chômage, où la Sécurité Sociale (1945) n'existait pas encore. La perte d'un emploi ou la faiblesse du seul salaire paternel menaçaient de plonger les familles dans l'extrême pauvreté, d'où le recours au travail enfantin. On note l'inégalité entre garçon et fille dans ce recours et donc la précarité persistante de la scolarisation des filles ; mais surtout la honte ressentie par cette gamine et ce qu'elle endurait pour maintenir sa dignité.
Jean Loignon
RETROVISEUR 4 : L'appel de Belleville
Il y a exactement 150 ans et quatorze jours, le 18 août 1871, un ouvrier parisien qui parlait assez l'anglais, interpella dans le quartier de Belleville un pasteur britannique venu distribuer des bibles en vue d'évangéliser. Le pasteur Robert Whitaker McAll (1821-93) relate ainsi dans son journal les mots de l'ouvrier.
« Dans ce quartier qui contient des ouvriers par dizaines de mille, nous ne pouvons accepter une religion imposée ; mais si quelqu'un de vous voulait nous prêcher une religion d'un autre genre, une religion de liberté en même temps que de réalité, beaucoup d'entre nous seraient prêt à accepter. »
Contexte : cette interpellation a lieu moins de trois mois après la fin de la Commune de Paris, dont l'impitoyable répression ravagea et ensanglanta Paris, notamment dans les quartiers de l'Est parisien. Précisément, la scène se déroule à deux pas de la rue Ramponneau, lieu de la dernière barricade, dont les défenseurs s'enfuirent vers le cimetière du Père-Lachaise, où ils furent fusillés sur le Mur dit des Fédérés. Lors de ces épisodes dramatiques, l’Église catholique avait largement pactisé avec le régime versaillais, d'où ce rejet viscéral dans un tel quartier.
Le pasteur McAll n'était pas un adepte du socialisme, qu'il voyait plutôt comme une menace conduisant les couches populaires vers l'athéisme. Son extrême familiarité avec la Bible lui fit ressentir l'appel de l'ouvrier parisien comme celui du Macédonien apparu en rêve à l'apôtre Paul, au moment où ce dernier hésitait à venir en Europe (Actes 16,9). Mais McAll comprit qu'une autre offre religieuse devait s'inventer pour répondre à Paris et dans toute la France à ces masses ouvrières nées de l'industrialisation et réclamant plus de justice et de bien-être.
Le 1er janvier 1872, s'ouvrit la première salle de la Mission McAll rue Julien Lacroix dans le 20ème arrondissement de Paris ; quatre ans après, il y en avait 19 et 136 en 1893, à la mort de leur fondateur. En 1879, ce réseau prit le nom de Mission Populaire Évangélique de France, qui sera la principale forme de présence du protestantisme français en milieu ouvrier et populaire. La Fraternité de Saint-Nazaire en est issue.
Bernard ROUSSEL, les cent premières années de la Mission Populaire, in Mission Populaire, Parole et Société, Paris, 1978.
http://le-blog-de-jean-yves-carluer.fr/2017/07/01/aux-origines-de-la-mission-populaire-evangelique/
RETROVISEUR 3
Il y a 25 ans, le problème du mal-logement se posait en des termes qui résonnent encore de façon très actuelle. Lettre adressée le 4 mars 1996 par le pasteur Etienne François, directeur de la Fraternité, à la Présidente du Tribunal de Grande Instance de Saint-Nazaire :
Les mots en caractères gras figurent dans le document original.
Madame la Présidente,
Nous connaissons bien les 5 personnes assignées aujourd'hui. Ils fréquentent la Fraternité plusieurs fois par semaine depuis un an. Ce cadre leur a permis une resocialisation progressive dont nous sentons tous les jours les effets. Ils le prouvent dans leurs rapports avec la Fraternité où il ne se comportent pas en « consommateurs » mais en usagers conscients que les services rendus ici ne « tombent pas du ciel ». C'est si vrai que nous avons suggéré que l'un d'entre eux soit admis en tant qu’inviter à notre Conseil de la Fraternité.
Leur installation dans l'ancien garage Citroën est très ancienne car il est à l'abandon depuis plus de six ans. Petit à petit, ils s'y sont installés, ils en ont fait un « chez soi » (ils ont même mis des verrous aux portes). Ils y vivent sans lumière, sans eau, sans chauffage. Ils maintiennent propres les locaux qu'ils occupent : le commissaire de police et l'huissier ont pu le constater.
Ils refusent les lieux d'hébergement mis en place par la ville (lieux qui sont d'ailleurs complets). Une chose leur reste : c'est de décider de refuser l'assistanat et ses contraintes (heure d'arrivée, de départ, repas collectifs etc.).
Ils sont tous les cinq âgés de plus de quarante ans et il est normal qu'ils revendiquent un minimum d'indépendance. Ils accepteraient volontiers que celle-ci s'exprime par le paiement d'un loyer pour occuper un logement ordinaire mais comment y accéder quand personne ne vous fait confiance.
Que vont-ils faire s'ils sont condamnés à payer les fortes sommes annoncées ? Nous craignons le pire : qu'ils partent ailleurs dans une autre ville en cachant leur identité pour fuir les risques de saisie ou de contrainte par corps. Nous craignons qu'une décision sévère à leur égard ne les pousse à devenir totalement clandestins dans leur propre pays !
Ce que nous, La Fraternité, demandons pour eux ? Un peu de patience : ils sont en démarche de réinsertion. Deux d’entre eux avaient rendez-vous ce matin même au CCAS pour signer un contrat d’insertion. Alors ne peut-on ne rien bousculer et tolérer leur présence le temps qu’un logement soit trouvé avec notre aide et celle du CCAS et des autres associations caritatives locales ?
Ils sont 5 et solidaires. Quatre perçoivent le RMI et le 5ème 2300 F d’assedics. A leur demande, nous en embauchons deux en CES d’ici la fin mars. Tout ça pour rendre l’accès au logement possible. Avec l’aide de l’APL, ils sont en mesure de payer 1 ou 2 loyers.
Mais surtout, qu’on ne leur mette pas la tête sous l’eau au moment où quelques solutions se dessinent et qu’ils sont prêts à les saisir !
Pasteur Etienne FRANÇOIS
Et l’équipe des bénévoles.
Le RMI était le RSA d’aujourd’hui. Un euro = 6,56 FF
Le Pasteur Etienne François exerça son ministère à Saint-Nazaire de 1994 jusqu’à sa mort précoce en 1997. On lui doit la construction des garages de la Fraternité dans le cadre d’un chantier d’insertion avec des Contrats Emploi Solidarité. Avec sa compagne Martine Costes, il est le fondateur de METANOYA, structure de formation pour la lutte contre la prostitution et les violences sexuelles.
Pour toi, la Frat', c'était quoi ? Témoignage de Paul Ouassini*
(recueilli en 2013)
Né en 1945, il se définit comme un enfant de l'après-guerre nazairien ayant vécu son enfance dans les ruines et la reconstruction de la ville. Son témoignage concerne les années 50-60. Après avoir longtemps « bourlingué » en Asie et vécu à Paris, il est revenu vivre à Saint-Nazaire. (introduction et notes de Jean Loignon)
Après avoir fréquenté celle de Nantes, il était normal qu'en évoquant à Saint-Nazaire nos pas nous portèrent dans le centre ville rejoindre la Fraternité située dans le périmètre bordé par les rues Marceau, du Maine, d'Anjou et des Caboteurs. Après guerre comme chacun le sait, la ville ayant morflé, Saint-Nazaire était couvert de cabanes canadiennes et de bungalows américains. So it goes ! Les dépendances de la Frat étaient toutes de bois construites. Deux pasteurs et leurs familles habitaient les lieux. Le pasteur Charly Hedrich et le pasteur Georges Velten.
Par où commencer ? Le côté religieux d'abord, parce que le protestantisme avant tout a des implications spirituelles. Le dimanche matin il y avait le culte pour les grands, et pour les petits le catéchisme que nous appelions l'Ecole du Dimanche. Le B à BA de l'éducation religieuse : la vie de Jésus, l'étude du Nouveau Testament étaient enseignés par Madame Velten et des monitrices. Je rejoignis aussi les louveteaux. Il y avait plein d'autres activités, mais à 8 ans ça me dépassait. Pour nous les mômes c'était le jeudi pour la Meute et les activités ludiques et le dimanche pour la tradition. Tout était de plain-pied sauf le local des louveteaux qui était perché dans une espèce de grenier. Il fallait grimper une échelle en bois, bancale qui de nos jours serait interdite. Il y avait une ambiance et une atmosphère que mon manque de talent ne peut vous décrire. De nombreuses sorties, des pique-niques, des camps dans la campagne et sur les bords de mer. Nous allions jusqu'à Sainte-Marguerite, Pornichet, le Pouliguen où l'on trouvait en bordure de mer des endroits non construits, couverts de pins. Saint-Michel Chef-Chef avec la Brise de Mer qui nous servait de point d'ancrage. J'ai souvenance d'Irène Velten (je ne la tutoierais qu'en 1982) qui faisait de nombreux allers et retour pour transporter les gamins que nous étions dans sa 2 CV. Entassés pêle-mêle, avec elle, il y avait peut être 7 ou 8 moutards dans la « Citron1 »
Et puis intra-muros, il y avait les fêtes paroissiales, Noël, Pâques qu'il fallait préparer à l'avance. De l'occupation, de l'effervescence qui débouchaient le jour venu sur de la joie, du bonheur, de la fraternité. Durant l'été 1953, mon frère et mois sommes allés à Coqueréaumont en Normandie, colo protestante. Le petit groupe de Saint-Nazaire avait voyagé en 3ème classe par le train de nuit pour rejoindre les Parisiens. Nous avions plusieurs heures à attendre avant de prendre un car pour arriver à destination. Nous sommes allés pique-niquer au Jardin des Plantes et dans la foulée avons visité la galerie de l'évolution du musée d'histoire naturelle. Deux mois en Normandie, 60 ans plus tard, je m'en souviens encore. Les jeux, les sorties, (illisible), l'encadrement de mômes à la plage. Les fêtes du samedi soir avec chants, sketches... Quelle ambiance, que d'images emmagasinées. Dans la campagne environnante, du vert, de nombreux bois, le travail agricole à l'ancienne. Les fermières trayant dans les prés. Je ne suis pas pêcheur mais j'étais déjà braconnier... La multitude de truites dans les ruisseaux limpides... Bon revenons à nos moutons. L'emploi du temps de notre enfance était bien rempli, la famille, l'école, la Frat. Le temps passait vite. J'ai découvert l'amitié, Roland, Paulo, François, Charles-Edouard, Yves, Bouboule... et les liens perdurent encore.
Et puis en 1956 il y a eu le grand chambardement. Direction le Nord, à quelques pas de la gare, la nouvelle FRAT qui va garder cette appellation bien longtemps après l'enterrement du nouveau franc 2. La nouvelle FRAT puisqu'il faut l'appeler par son nom « capable d'enrichir en un jour le Panthéon » attira à elle toute la communauté parpaillote et plus si affinités. Elle était moderne, fonctionnelle. Nous les minots, nous étions trop jeunes et plein d'entrain pour être nostalgiques de la vieille FRAT. Essayons de la décrire : une grande salle de spectacle avec une vraie scène ; étonnés nous étions. Une pièce pour le culte dominical. Deux appartements pour les familles de pasteurs. Dans le sous-sol des locaux pour les activités ludiques et pratiques et encore des pièces au rez-de- chaussée sous l'appartement des Velten. Autour il y avait plein de terrains vagues souvent habités par les ronces, les orties et les queues de renard. Saint-Nazaire se remettait à pas lents de ses blessures de guerre et la reconstruction allait encore durer un certain temps.
Nous avions deux pasteurs Georges Velten et Roger Crapoulet. Deux hommes différents mais très efficaces. Animant et administrant le navire avec une volonté, une ténacité à toute épreuve. Leurs présences, leurs personnalités, leurs conseils ont été déterminants et ont accompagné ma vie durant fort longtemps. Et la vie était ardente, prometteuse...Par manque de talent ai-je dit et la paresse aidant, il m'est difficile de détailler toutes les activités et les moments forts que nous avons vécus. Les fêtes avec spectacles, jeux, stands divers, kermesses qui valaient le détour et qui laissèrent des empreintes dans nos caboches d'enfants. Dans le désordre, je pense aux pièces théâtrales mises en scène et interprétées par le clan Civel-Clavier-Deray3
Roger Crapoulet avait lancé un ciné-club. Chaque semaine la salle ouvrait ses portes à une foultitude de personnes. Après la projection une discussion prenait place et était particulièrement animée.
Encore quelques souvenirs avant de terminer ma mission. La troupe des éclaireurs unionistes portait le nom du Docteur Schweitzer parce que M. Hedrich était un parent d'Albert.
Les scouts avaient des spécialités brevetées maison. Il fallait passer les épreuves. Les moniteurs, monitrices étaient nos examinateurs. Nous postulions pour tel ou tel brevet. Un jour Mme Velten s'étant accidentellement planté une écharde dans une main me demande de la lui ôter. J'avais de bons yeux à l'époque et n'avais pas la tremblote. Je pris une aiguille que je flambais pour la désinfecter. Et la main de la femme du pasteur dans mes menottes, je retirais rapidement et habilement l'éclat de bois. J'obtins ainsi, sans tambour ni trompette le cordon de secouriste. En présence de beaucoup plus de témoins, Doudou reçut après des efforts plus élaborés son brevet de cuisinier que nous ses compagnons de vacances sous toile apprécièrent à plusieurs reprises surtout lors du camp franco-américain qui s'est déroulé au Faouet.
A l'époque des louveteaux, bien des lunes auparavant, nous avions bivouaqué à Saint-Michel Chef- Chef pour la totémisation de la moitié de la Meute. On nous avait réveillés dans la nuit, fait crapahuter dans les bois alentour, en nous filant la frousse et puis dans le plus grand secret, un par un, nous sommes passés au trapèze.
A la file indienne, les louveteaux éblouis par le rayon lumineux d'une lampe de poche passèrent devant trois aînés masqués par la pénombre et reçurent un vocable s'accordant à leur personnalité.
Qui s'en rappelle encore ??
Loup serviable pour François
Loup gris pour Paulo
Loup actif pour Doudou
Loup bavard pour Bibi....
A suivre
1Pour Citroën
2En fait, l'enterrement de l'ancien franc en 1959.
3Yvonne Civel, Evelyne Clavier et Christiane Deray sont en fait trois des quatre sœurs Van Hooland, filles de Gédéon et Claire V H. installés à Saint-Nazaire avant-guerre.
*Paul Ouassini vient toujours à la Fraternité. Il participe à de nombreuses activités et donne des cours de boxe Thaï.
RETROVISEUR 1 : Deux frères à la Fraternité de Saint-Nazaire
On les a vus mille fois en passant devant, au point de les oublier, fondues qu'elles sont dans le paysage de la Fraternité. Quoi donc ? La fresque de la façade sur rue et le décor de la croix sur le mur de droite en entrant. Ces deux œuvres d'art ont été réalisées par deux Suisses, frères de la Communauté de Taizé, Eric de Saussure pour la fresque, Daniel de Montmollin pour le décor en céramique.
Taizé ? Une aventure spirituelle d'origine protestante qui, depuis 1944, tente l'expérience d'une vie monastique masculine, de l'oecuménisme et à partir des années 70 d'une ouverture au monde, particulièrement en direction de la jeunesse. Dès ses débuts, Taizé que le pape Jean XXIII salua comme « un petit printemps » attira des talents d'artistes reconnus.
Comment les reconstructeurs de la Frat' en 1955 (après la destruction du premier local rue Jeanne d'Arc dans les bombardements de la guerre et l'épisode d'une baraque provisoire rue des Caboteurs) entrèrent en contact avec les frères de Taizé ? D'un côté une Mission Populaire qui vivait l'enseignement du Christ dans un engagement complet aux côtés des populations ouvrières, de l'autre une communauté d'hommes qui choisissait une vie contemplative, au rebours de la tradition protestante... La rencontre se fit pourtant et si la mémoire n'en a pas retenu les modalités, nous pouvons citer les noms du pasteur Georges Velten, animateur de la Fraternité de Saint-Nazaire de 1945 à 1960 et celui de Marcel Bouscasse1, l'architecte nazairien qui réalisa le bâtiment actuel.
La fresque : trente carrés qui dessinent un paysage stylisé de bateaux et de grues : nous sommes dans le Saint-Nazaire des chantiers navals et du port. Au premier plan, un couple avec un bébé et un enfant qu'attire un crabe, tandis que des jeunes jouent au ballon : image des plages offertes à tous. A droite, une scène plus énigmatique : une mère avec son fils semble être présentée à un personnage brandissant un livre. Quel livre ? Cela n'est pas indiqué. D'aucuns y verront la Bible et une figure pastorale, tout comme les poissons2 peuvent symboliser le christianisme ; mais peut-être aussi l'image de la culture pour tous, tout comme le soleil évoque l'espérance d'un avenir meilleur. Autant d'hypothèses possibles mais laissées à la libre appréciation de chacun.
A l'intérieur, une haute et mince croix rappelle aujourd'hui l'identité chrétienne du lieu, dont la salle dite « le foyer » servit longtemps au culte réformé. Mais cette croix nue ne fut pas toujours là. Elle n'existait pas quand Daniel de Montmollin fit le choix de représenter un marteau et des clous, symbole éminement ouvrier mais suggérant par des épines la crucifixion du Christ. Sur un second carreau, une barque sur des flots agités où souquent des rameurs entraînés par un capitaine : la tempête n'est pas apaisée mais l'équipage uni tient son cap. Enfin, sur le troisième carreau des chaînes brisées disent la libération des opprimés. C'est donc, comme sur la fresque, la représentation d'un christianisme implicite, suggéré pour une libre acceptation ou pas...
L 'absence originelle de la croix surprend : au 19ème siècle, certains pasteurs y étaient hostiles car ils y voyaient une forme d'idolâtrie. Ici, cette absence peut signifier un Christ choisissant de se retirer du monde terrestre – par l'Ascension – et confiant aux hommes et aux femmes la responsabilité d'accomplir ici la mission (populaire !) d'un Royaume déjà là et encore à venir.
Jean Loignon
1On doit à cet architecte, membre actif de la paroisse protestante, la réalisation des Bains Douches et d'immeubles dans le quartier des Halles.
2Le mot grec « ichthus » (poisson) est l'acronyme en grec de Jésus Christ, Fils de Dieu et Sauveur. Il servit de signe de reconnaissance aux premiers chrétiens.